X

Penché à l’un des créneaux, Bob Morane imita par trois fois le cri de la chouette.

Trois hululements pareils, habilement imités par Bill, lui parvinrent d’en bas. Certain que ses amis étaient assurés désormais de la réussite de son hardi projet, Bob enleva la corde trouvée dans le corps de garde et qu’il avait enroulée autour de sa taille. Il en assujettit solidement une des extrémités à un créneau et la laissa ensuite descendre dans le vide.

À la lumière de la lune, sa silhouette se découpait en ombre chinoise sur le ciel. Aussi Bill et Nahal n’eurent-ils aucune peine à localiser presque aussitôt l’endroit où pendait la corde. Une traction apprit à Bob que son compagnon s’apprêtait à grimper. Bientôt, Morane vit émerger la tête de Bill Ballantine, qui sauta lestement sur le chemin de ronde.

— Mes compliments, commandant, fit l’Écossais. Vous venez de prouver, une fois de plus, que le mot impossible n’est pas français… J’espère que vous n’avez pas liquidé toute la garnison ?…

— Rassure-toi, répliqua Bob en riant. Il en restera quelques-uns pour toi. Peut-être trop à ton goût !

Hissée par les deux amis, Nahal prit pied à son tour sur le chemin de ronde, et Bob annonça à mi-voix :

— Tous ceux qui pouvaient nous gêner sont momentanément hors d’état de nuire. Mais il faut faire vite, car notre intrusion risque d’être découverte d’une minute à l’autre… Suivez-moi…

Bob mena Bill et la jeune Indienne jusqu’au corps de garde où les prisonniers, toujours sagement alignés sur le sol, attendaient son bon vouloir. À la lueur des torches de résine fichées dans les murs, Bill remarqua l’accoutrement de Bob et fit observer :

— Vous avez à nouveau changé de déguisement ?… Cela devient une manie, commandant…

— J’ai toujours estimé que le costume militaire m’allait à ravir, répondit Bob avec un sourire en coin… Je suis d’ailleurs persuadé que tu vas faire, toi aussi, un superbe soldat de l’armée du Batham… Donne-moi donc un coup de main pour dépouiller deux des prisonniers de leur uniforme.

Rapidement, ils récupérèrent les vêtements de deux soldats. Ensuite, Bill et la princesse Nahal revêtirent tous deux la tunique violette et le chapeau de fourrure des mercenaires du prince Dirak.

— On ne peut pas dire que ce soit particulièrement seyant, constata Bill Ballantine. Mais, après tout, nous ne nous habillons pas pour aller dans le monde…

— Cet uniforme est un peu juste pour toi, admit Bob en enveloppant son ami d’un regard narquois. Personne n’en peut si tu n’as pas la taille mannequin. La prochaine fois, je m’arrangerai pour te faire confectionner une tunique sur mesure par le tailleur de la garnison.

— Ce n’est pas tout d’être parvenus au sommet de cette muraille, intervint Nahal. Encore faut-il passer de l’autre côté… Quels sont vos projets, commandant Morane ?

Bob allait répondre, quand un son grave et répété ébranla l’épaisseur des murailles.

— Ils seraient déjà au courant de notre présence ici ? demanda Bill.

— Non, fit la princesse. C’est sans doute un appel général. Mais le fait que plusieurs hommes seront portés manquants ne manquera pas d’inquiéter leurs chefs. Ils voudront savoir ce qui se passe ici… Si nous ne voulons pas être surpris, nous devons fuir au plus vite…

— Pouvez-vous vous y retrouver dans ce labyrinthe ? s’informa Bob.

— Certainement, affirma Nahal. Toutes les forteresses échelonnées sur cette frontière ont été bâties sur le même modèle… Je vais vous guider…

En courant, le trio traversa une enfilade de couloirs, puis s’engouffra dans un escalier tournant qui s’enfonçait dans les profondeurs de la forteresse.

— Le salut n’est pas loin, lança Nahal en haletant. Ces marches mènent de l’autre côté de la muraille.

En toute hâte, les deux hommes et la princesse dévalèrent l’escalier, pour s’arrêter net à mi-chemin en entendant le martèlement des bottes d’une petite troupe montant à leur rencontre.

— J’ai l’impression que nous sommes dans un drôle de pétrin, constata Bob sans s’émouvoir outre mesure.

— Moi aussi, approuva Bill. Si on s’en tire, on est vernis !

Les deux amis s’apprêtaient à vendre chèrement leurs vies lorsque Nahal eut une inspiration qui devait leur sauver la vie. Elle désigna une sorte de niche pratiquée à même la muraille et murmura :

— Cachons-nous là-dedans !

Tous trois se blottirent dans la niche et, comme les torches accrochées à la paroi par des griffes de fer ne répandaient qu’une pauvre et funèbre lumière, ils se trouvèrent plongés dans une pénombre propice, et les soldats, sans méfiance, passèrent devant eux sans soupçonner leur présence.

Bob attendit que le bruit de leurs pas se fût éloigné, puis il déclara :

— La route est libre… Ne nous attardons pas car cet endroit va bientôt devenir aussi brûlant que l’enfer…

Tous trois descendirent précipitamment l’escalier et atteignirent une porte verrouillée de l’intérieur et s’ouvrant sur la campagne…

 

*

 

Les fugitifs firent quelques pas au-dehors et Bill poussa un cri de joie.

— Là-bas !… Regardez !…

Attachés à des anneaux scellés dans le mur, une douzaine de chevaux attendaient en piaffant.

— Des montures ! s’exclama Bob. Juste ce qu’il nous faut !… Ne perdons pas de temps. Plus vite nous serons loin de ces maudites murailles, mieux cela vaudra.

Ces recommandations étaient bien inutiles, car tous trois étaient pressés de mettre le maximum de distance entre eux et leurs ennemis. Ils sautèrent en selle, pour s’éloigner à bride abattue vers l’intérieur du pays.

Penché sur le cou de sa monture, Bob menait le train à une allure vertigineuse et Bill, inquiet, tenta de le modérer :

— Nous allons nous rompre les os à ce train-là, commandant. Avez-vous l’intention de finir dans le ventre des vautours ?

— Je sens comme une menace suspendue sur nos têtes, expliqua Bob. Je t’assure qu’il n’y a pas une seconde à perdre…

Les pressentiments de Morane ne le trompaient pas. Le bruit des pas des chevaux, quand les fugitifs s’étaient éloignés de la muraille avait donné l’alarme. Du haut des murailles, les mercenaires de Dirak se mirent à tirailler dans la direction des fuyards. Quelques balles sifflèrent aux oreilles des cavaliers mais le tir était mal ajusté et l’obscurité aidant, Morane et ses compagnons furent bientôt hors de portée.

Les détonations s’espacèrent, puis cessèrent complètement. Finalement, Bob Morane décida :

— Nous pouvons ralentir… Nous avons beaucoup d’avance à présent et, après tout, ils ne savent pas qui nous sommes. Ils ont peut-être renoncé à nous poursuivre.

— Nous ne sommes sauvés que provisoirement, rappela Bill. Il n’y a pas le moindre doute que l’alerte soit donnée dans tout le pays. Avant longtemps, nous allons avoir tous les sbires de Dirak à nos trousses.

— C’est exact, approuva Nahal. Il nous faut demeurer sur le qui-vive.

— Bah ! dit Bob avec insouciance, nous ne risquons rien pour le moment, c’est le principal. À nous deux, mon vieux Bill, nous sommes venus à bout d’entreprises plus difficiles que celle-ci. Et cette fois, nous sommes trois, car la princesse Nahal est aussi vaillante que son ancêtre Khara Khan en personne. Elle n’a pas bronché quand les balles sifflaient autour de nous…

Les larges prunelles de Nahal se posèrent sur Bob et la jeune fille protesta avec vivacité :

— Ne parlons pas de moi… C’est vous, messieurs, qui m’avez permis, par votre folle audace, de conserver l’espoir de reconquérir mon trône.

— Vraiment ? fit Bob. Dans ce cas, j’ai sans doute le droit de vous réclamer une faveur. « Messieurs » me semblant si protocolaire, pourquoi ne nous appelleriez-vous pas Bob et Bill ?

— Volontiers, Bob, répliqua la jeune fille en lui dédiant son sourire le plus enjôleur. À condition que vous m’appeliez Nahal.

— Ce n’est pas la même chose, protesta Bob avec un sourire amusé. Le protocole…

— Ne parlons pas de protocole, dit Nahal d’un ton ferme. La coutume de mon pays exige que l’on me donne, quand on me parle, le titre de Sublime Protecteur des Heureux Territoires… Je suis sûre que vous préférerez le nom tout simple de Nahal.

— C’est beaucoup trop compliqué, en effet, admit Bob en riant. Nous sommes donc à vos ordres, Nahal… Sommes-nous loin encore de votre capitale ?

— Nous pourrions y être dans une dizaine d’heures, répondit la jeune Indienne. Nous mettrons cependant un peu plus longtemps, car nous allons emprunter des chemins détournés que les soldats du prince Dirak auront de la peine à contrôler.

La chevauchée se poursuivit durant toute la nuit et, après un bref repos, les trois compagnons d’aventure remontèrent à cheval. Soit que l’alarme n’eût pas été donnée, soit que les chemins choisis par Nahal ne fussent pas gardés, ils ne rencontrèrent pas le moindre obstacle et, peu avant le coucher du soleil, le lendemain, ils parvinrent sans encombre en vue de Shangripour.

— Habillés comme nous le sommes, nous ne pouvons espérer pénétrer dans la ville sans être repérés, fit remarquer Bob. Notre présence dans le royaume a dû être signalée.

— C’est juste, admit Ballantine. Il nous faudrait des habits de paysans… Mais où nous les procurer ?

— Je connais un refuge inviolable, intervint Nahal, et nous y recevrons toute l’aide que nous réclamerons… Suivez-moi…

Les deux hommes et leur compagne se détournèrent des palais de Shangripour, dont les toits étincelaient au loin sous les derniers rayons du soleil. Une heure plus tard, ils faisaient halte devant un temple majestueux qui dressait sa masse monolithique au milieu d’une campagne désolée.

Nahal descendit de cheval et s’approcha sans hésiter de la porte d’entrée. Un gong suspendu à deux chaînettes de bronze doré se balançait devant le porche. Saisissant sa carabine par le canon, Nahal donna un coup de crosse sur ce gong, qui résonna longuement.

Un bonze très âgé, drapé dans une robe brune, et dont la tête était complètement rasée, vint ouvrir la porte. Il dévisagea sans mot dire les trois voyageurs puis déclara d’une voix sèche :

— Nous avons entendu votre appel, mais il n’est pas dans la coutume de notre maison d’y recevoir des soldats en armes… Malheur à celui qui viendra troubler la tranquillité de cet édifice voué à la prière et au recueillement !

Bob et Bill ne savaient quelle contenance prendre, quand Nahal s’avança et lança au bonze d’un ton impérieux :

— Nous sommes des voyageurs déguisés et non des soldats… J’ai besoin de voir le Lama immédiatement… Dites-lui que je suis l’envoyé de l’Ancêtre.

Pas un muscle ne tressaillit dans le visage impénétrable du bonze, qui fit demi-tour sans répondre et disparut à l’intérieur du sanctuaire. Après une attente interminable, il revint enfin et s’inclina devant les trois faux soldats en déclarant :

— Le Lama consent à vous recevoir… Veuillez me suivre…

Nahal, Morane et Bill attachèrent leurs chevaux à l’entrée du temple et furent menés par le bonze à travers un dédale de couloirs.

— Si j’avais pu prévoir, plaisanta Bill à mi-voix, j’aurais fait comme Ariane et amené avec moi un fil du même nom que j’aurais déroulé au fur et à mesure. Si ce vieillard décrépit tombe raide mort, nous serons dans la situation du petit Poucet perdu dans la forêt…

Une dernière série de corridors déboucha sur une porte monumentale que couvrait une gigantesque effigie de Bouddha taillée dans le bois. Le bonze poussa l’un des battants et s’effaça pour laisser entrer Bob et ses amis.

Flanqué de deux moines pareillement vêtus de brun, le Lama était assis dans un fauteuil et se tenait rigide comme une statue. Ses traits parcheminés attestaient qu’il avait atteint les plus hauts sommets de l’âge et de la sagesse. Nahal se prosterna trois fois devant lui et, le front contre terre, attendit respectueusement qu’il lui adressât la parole.

Le Lama étendit une main tremblante et fit signe à Nahal de se relever. Puis, d’une voix éteinte qui contrastait avec la singulière acuité de son regard, il dit gravement :

— Tu affirmes, enfant, être l’envoyé de l’Ancêtre. Mais les paroles des hommes sont souvent mensongères. Peux-tu me fournir la preuve de ta sincérité ?

— Je le peux, Vénérable, affirma Nahal.

D’un geste vif, elle fit glisser légèrement sa tunique et découvrit son épaule gauche. Sur la peau, un curieux dessin était tatoué. Le Lama se pencha en avant et, perdant un peu de son impassibilité, il s’exclama, avec un respect mêlé de surprise :

— La marque de Khara Khan ! Par le bouddha vivant, c’est bien la marque de Khara Khan !… Sois le bienvenu dans cette maison, Altesse… Tu es celle que tout le peuple du Batham attendait…

 

Le collier de Civa
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